La mise en scène

     Quand j’ai lu pour la première fois Le conte d’hiver, j’imaginais très nettement l’atmosphère dans laquelle la pièce pourrait se dérouler : un lieu en friche, des braséros, des acteurs vêtus de « poussiéreuses », une pluie de feuilles mortes et quelques mélodies manouches, égrènées sur des guitares… Mais cela remonte déjà à une vingtaine d’années. Aujourd’hui, je ne conserve de ce rêve que l’intuition. Toute la recherche menée depuis près de deux ans avec les acteurs m’a offert d’autres sources d’imagination et d’intention.

     Un campement nomade ouvre ses portes et déjà l’univers du conte est planté. Quelques tapis, quelques instruments de musique, une mélopée traditionnelle… Les spectateurs sont accueillis dans une ambiance de fête et de rêve, celle du conte, celle du théâtre. On offre à boire et à manger selon les coutumes de l’hospitalité… une magie est à l’œuvre.

     Ainsi commence ce Conte d’hiver, au milieu de l’assemblée, acteurs et spectateurs mêlés, sans en avoir l’air, comme sorti du quotidien, jusqu’au moment où éclate sur les tapis la première effusion de jalousie de Léontes. Dès lors, nous voyagerons entre tragédie et comédie, plusieurs scènes se déroulant dans l’espace des spectateurs.

     En 1997, quand je préparais la mise en scène de La nuit des rois, profitant d’un voyage à Londres, je visitais le théâtre du Globe alors en reconstruction. Je garde de cet instant l’envie d’un théâtre ouvert, où l’ensemble du lieu est mis en mouvement et où le spectateur est placé au cœur de l’histoire et non pas simple témoin du drame.

     La première partie du spectacle se passe en Sicile. D’un trait direct et épuré, nous nous enfonçons dans la tragédie la plus noire jusqu’à l’annonce des morts de Mamilius puis d’Hermione. Je souhaite que les spectateurs n’aient pas le loisir de penser ni commenter. Au sommet de l’horreur, un personnage singulier, le Temps, à l’image de Prospéro, commandant aux éléments, déclenche une furieuse tempête. Un tourbillon bouleverse l’espace, emporte acteurs et tapis, costumes et tentures… un enfant se promène au milieu des spectateurs avec des carillons cristallins… seize ans passent et nous accostons sur les rivages de Bohême. La comédie éclate avec la préparation de la fête de la « tonte des moutons ». Une sorte de grande mascarade, l’univers du carnaval se déploie avec ses masques, ses transgressions, ses jeux, un vent de folie débridée souffle dans le lieu. Et c’est la fuite des jeunes amoureux. Nous naviguons à nouveau vers la Sicile, non plus sous l’effet d’une tempête, mais par bon vent et mer calme.

     La fin de cette histoire va tranquillement se déposer, offrant la part belle aux conteurs, notamment dans la scène 2 de l’acte V. Le camp nomade s’immisce tout doucement pour faire disparaître le théâtre comme il est né. Un chant traditionnel revient et les acteurs renouent avec les spectateurs pour clore le conte dans un air de convivialité. Au bord des lèvres, le parfum du bonheur d’avoir joliment « raconté »...

Pascal Arbeille

La musique

     «La recherche me mène sur le territoire de la musicalité de l’acteur au sens large. En tant que musicienne de théâtre j’utilise tous les outils sensibles à ma disposition. La musique de scène du « Conte d’hiver » est interprétée par les acteurs eux mêmes. La distance qu’offre la direction musicale permet de porter le regard sur l’ensemble des phénomènes rythmiques et sonores émis et perçus par les acteurs explorant sur scène l’universalité musicale de l’être humain. Il s’agit de tisser un langage initiant la partie instrumentale, le chant et au delà : un état d’esprit. La musique traduit les émotions et les intentions profondes ou véritables, à nous de savoir les interpréter et de les offrir au public.»

Christine Kotschi

Les masques

     La création des masques du « Conte d’Hiver » est l’aboutissement d’un cycle de deux ans de recherches avec L’instant avant l’aube.

     À plusieurs reprises, je suis intervenu auprès des comédiens pour une initiation à la fabrication de masques. Chacun travaillait sur un personnage de Shakespeare, avec comme seule consigne : étudier la « sculpture de l’œil », c’est à dire pas seulement l’œil découpé comme l’on retrouve souvent dans les masques de Commedia dell’arte, mais un regard mis en relief…

     Puis vînt, avec les comédiens, l’épreuve du plateau : différents masques, différentes improvisations, avec ou sans Shakespeare… Cela nous a permis d’affiner et approfondir notre réflexion pour la création du « Conte d’Hiver ».

     Évidemment j’ai flâné ça et là, au musée national des arts asiatiques, au musée du quai Branly… sans vouloir copier, mais simplement nourrir mon imaginaire.

     Enfin, chargé de toutes ces « impressions », s’ouvre le travail solitaire de l’atelier : face aux empreintes des visages des comédiens, il ne reste plus qu’à œuvrer. Modeler et ciseler la terre, sculpter et polir le bois, poser et travailler le cuir, puis teindre, peindre, coller quelques poils, ouvrir narines et yeux…

     Aujourd’hui, ces masques n’attendent plus que les acteurs pour naître et grandir dans leur relation intime et symbolique face aux spectateurs !

Yohan Chemmoul

Les costumes

     Être au service d’une mise en scène précise et exigeante a été une mise en confiance et une plongée dans un univers créatif passionnant.

     Nous avons travaillé sur les volumes, les matières, les couleurs en fonction des mouvements, de la lumière et de l’évolution de la tragédie.

     Au début de ce conte nous sommes en hiver, dans le Palais des rois de Sicile où le froissement de grands manteaux sombres en lin pour les hommes ou taffetas moirés pour les femmes laissent deviner des robes et des jupes en soie ou des pantalons très larges de couleurs vives.

     Au fil de l’histoire qui nous transporte vers la Bohème, en été, tous ces coloris vont se révéler. Les grands manteaux disparaissent, les jupes et les pantalons se raccourcissent, les chevelures se libèrent, la peau se dévoile, nous sommes en pleine préparation de la fête et les costumes permettent aux acteurs de développer un jeu plus débridé. Ainsi s’évoque la nature, toute en lumière et en légèreté.

Sylvie Aupetit

 

 

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